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Si moi j'ai le plus beau compliment à faire à un chanteur, c'est ça: il a sa signature. Tu l'entends chanter, t'as pas besoin de connaître la chanson, c'est Daniel Lavoie.

Bruno Pelletier

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Magistrale licorne

 

licornecaptivelavoieguardo

Ivre de liberté, Icare ne freine sa montée
Il laisse le vent du ciel caresser ses ailes
Libéré du poids de l'être, enfin il se sent vivre
De cette ascension céleste son âme s'enivre

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La licorne. Créature légendaire au corps équin, sabots fendus et barbiche. Un mi-chemin entre le cheval et la chèvre, réputée être féroce mais aussi symbole de pureté et de grâce. Toujours selon la légende et l'imaginaire, l'odeur de la virginité l'attirait particulièrement. Sa capture et sa chasse nécessitaient l'offrande d'une vierge.

Nul besoin d'accomplir l'offrande pour voir «La licorne captive». C'est inspiré de la mythologie grecque et des légendes d'ici que le compositeur Laurent Guardo planche sur un album; bâti sur sa fascination des tonalités de la viole de gambe, instrument issu de la Renaissance. Cet opus doté d'une haute teneur médiévale ponctué d'effluves modernes, paru au printemps 2014 sous l'étiquette Chant du Monde / Harmonia Mundi, se veut l'aboutissement d'un effort de composition échelonné sur une quinzaine d'année. Travail acharné réparti au fil de tout ce temps auquel Daniel Lavoie se greffe, intrigué au départ par la musique et les instruments mais aussi par le goût de l'aventure, de sortir du cadre, voire de se défier lui-même. Il y investit tout le talent qu'on lui connaît, sa voix qu'on ne se lasse d'entendre, ses harmoniques et sa facette de conteur, moins connu de tous.


C'est un peu beaucoup dans cette ambiance mystérieuse de l'intangible, de contes et d'imaginaire dans laquelle cette première nord-américaine nous a tous plongé vendredi dernier (29 mai 2015) dans le cadre de la 5ème année du Festival Classica. Question de satisfaire le perfectionnisme de Guardo, le cadre particulier de l'église de St-Lambert est venu enrober l'atmosphère.

Entrée sur les planches. Fébrilité. Dans la salle et sur la scène. Le non-verbal est éloquent. Le trio de violes de gambe, la viole d'amour, la soprano, l'auteur et le chanteur, debout devant tous ces bancs remplis. À craquer. Un je ne sais quoi flotte dans l'air avant même que Daniel Lavoie ne s'installe sur son tabouret. Ça vibre dans l'église, comme si on s'apprêtait à refaire ses fondations. Comme si quelque chose de grand se préparait. Une première scène au lieu d'une dernière?

LaurentGuardoLicorneCaptivePulsionAudio

Tous pendus aux ailes d' «Icare», nous sommes soulevés. Quelques battements de notes, quelques mots chantés et nous vivons ses sensations:

Ivre de liberté, Icare ne freine sa montée
Il laisse le vent du ciel caresser ses ailes
Libéré du poids de l'être, enfin il se sent vivre
De cette ascension céleste son âme s'enivre

LicornecaptivePulsionAudio

 

Déjà l'oeuvre nous saisit de son unicité, nous montre ses traits enjôleurs, racoleurs. Comme le chant de la "Sirène" soprano qui mène le marin à la tempête, tempête des violes de gambe et de voix qui nous font oublier le temps, l'espace.

La sombre «Ophélie» et «Le bal des pendus» d'Arthur Rimbaud, viennent rejoindre notre «Chasse-Galerie» où, mourant d'envie de la chaleur de sa douce compagne, le bûcheron esseulé s'en remet au Diable pour retourner la voir, l'espace d'une nuit. Point de blasphème ni de clocher heurté par le canot au prix de son âme.

Au bord du rivage je l'avais quittée
Je vis son dernier souffle s'envoler
Mon canot frappa la croix du clocher
Dans ses bras je suis tombé

DanielLavoieLicorneCaptivePulsionAudioII 1

L'entièreté du spectacle nous promène d'un mythe à un apologue, d'une fable à une allégorie. La mise en scène ne peut être plus sobre, pas de mouvement, pas d'acteur. Les musiciens (Mélisandre Corriveau, Marie-Laurence Primeau, Betsy MacMillan – violes de gambe et Olivier Breault – viole d'amour) rendent toute la passion de leur art tandis que la soprano Mary-Lou Gauthier, puissante et juste, baignait l'église entière de sa voix de muse. Nul besoin d'acteurs pour savourer toute la texture musicale, le rythme pausé savamment brisé de soubresauts et de charges qui soulignent les drames de ces épopées. Guardo (guitare acoustique et percussions) à la timonerie mène le navire comme un vieux loup de mer, Lavoie nous captive par ses récits, son duo de cordes vocales, sa présence, sa prestance, son charisme. Véritable véhicule d'émotions.

Pour un soir de première, c'était toute une première. Une première scène qui ne sera pas la dernière j'espère puisque aucune autre représentation n'est prévue pour l'instant mis à part celle de Nantes en mars 2016. J'irais volontiers à une deuxième, une troisième et même une quatrième. Sans problème. Dites-moi où et j'y cours.

N'en déplaise à Pégase, fils de Poseïdon, malgré toute sa fougue et sa grâce, «La licorne captive» le laisse loin derrière. Entre le chevaucher et vivre à nouveau l'expérience Guardo-Lavoie, je prends le second. Le summum... chevaucher Pégase pour m'y rendre! Nantes? Pourquoi pas!

Par Luc Mercier - Chroniqueur

Crédit photo: Luc Mercier / Pulsion Audio